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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/149

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sible, on peut encore être attaqué au dehors par ces anthropophages féroces, les véritables philosophes. Ils sont capables de vous courir sus et de vous entraîner de force, pour vous exhiber à l’occasion comme polichinelle coupeur de bourses, en vue d’égayer leurs représentations[1].

Contre le panthéisme je n’ai que cette objection, c’est qu’il ne dit rien. Appeler le monde « Dieu », ce n’est pas l’expliquer, mais simplement enrichir la langue d’un synonyme superflu du mot « monde ». Dites : « Le monde est Dieu », ou « le monde est le monde », cela revient au même. Sans doute, si l’on part de Dieu comme de la chose donnée à expliquer, si l’on dit : « Dieu est le monde », il y a là en une certaine mesure une explication, en ce sens que nous sommes ramenés de l’inconnu au connu ; ce n’est toutefois qu’une explication de mot. Mais si l’on part de ce qui est réellement donné, c’est-à-dire du monde, et si l’on dit : « Le monde est Dieu », il est évident que cela ne dit rien, ou que du moins l’inconnu est expliqué par quelque chose de plus inconnu.

En conséquence, le panthéisme présuppose au préalable le théisme. Ce n’est en effet qu’autant qu’on part d’un Dieu, c’est-à-dire qu’on le possède déjà par avance et qu’on est intime avec lui, qu’on peut finir par en arriver à l’identifier avec le monde, en vue de l’écarter d’une façon décente. On n’est pas parti impartialement du monde comme de la chose à expliquer, mais de Dieu

  1. Schopenhauer fait allusion ici à son fameux pamphlet sur La philosophie universitaire, qu’on trouvera dans le prochain volume de notre publication. (Le trad.)