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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/173

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Thrasymaque. — Au fond, on ne peut le nier.

Philalèthe. — Si maintenant, au bout des dix mille ans, on oubliait de t’éveiller, je crois que, après cette courte existence suivie d’une si longue non existence devenue ainsi une habitude, le malheur ne serait pas grand. Mais il est certain que tu ne pourrais rien en deviner. Et tu te consolerais pleinement, si tu savais que le ressort secret qui maintient en mouvement ton phénomène présent n’a pas cessé un moment, dans ces dix mille ans, de produire et de mettre en mouvement d’autres phénomènes de la même espèce.

Thrasymaque. — Ah ! Et de cette façon tu t’imagines me subtiliser tout doucement et à mon insu mon individualité ? Ce n’est pas à moi qu’on en fait voir de pareilles ! J’ai stipulé la continuation de mon individualité, et aucune raison pas plus qu’aucun phénomène ne peut me consoler de sa perte. Elle me tient à cœur, et je ne la lâche pas.

Philalèthe. — Tu tiens donc ton individualité pour si agréable, si excellente, si parfaite et si incomparable, qu’il ne peut y en avoir de supérieure ? Et tu ne voudrais l’échanger contre aucune autre, même si on te donnait l’assurance que tu t’y trouverais plus à ton aise ?

Thrasymaque. — Mais sûrement mon individualité, quelle qu’elle soit, c’est moi-même.

Rien au monde n’est au-dessus de moi :
Car Dieu est Dieu, et je suis moi[1].

Moi, moi, je veux exister. C’est à cela que je tiens, et

  1. « Mir geht nun auf der Welt nichts über mich :
    Denn Gott ist Gott, und ich bin ich. »