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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/180

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cien, et aboutissent théoriquement aussi au pur judaïsme, c’est-à-dire au théisme despotique nu. Dans ce sens on pourrait qualifier ma doctrine de véritable philosophie chrétienne, quelque paradoxal que cela puisse sembler à ceux qui ne vont pas à la racine des choses, et s’en tiennent à la surface.

Celui qui est capable de penser un peu profondément verra bientôt que les désirs humains ne peuvent commencer à être coupables au point où, se croisant par hasard dans leurs directions individuelles, ils occasionnent du mal d’un côté et des malheurs de l’autre ; mais que, s’il en est ainsi, ils doivent être coupables et. maudits à leur point d’origine et dans leur essence, et que conséquemment la volonté entière de vivre est elle-même maudite. Les horreurs et la misère dont le monde est plein ne sont donc que le résultat nécessaire de la somme des caractères en lesquels la volonté de vivre s’objective, dans les circonstances auxquelles est soumise la chaîne ininterrompue de la nécessité, et où ils puisent leurs motifs. C’est, en un mot, le pur commentaire de l’affirmation de la volonté de vivre[1]. Que notre existence même implique une faute, c’est ce que prouve la mort.

Un noble caractère ne se plaindra pas facilement de son destin, et il conviendra plutôt de lui appliquer l’éloge décerné par Hamlet à Horatio :

For thou hast been
As one, in suffering all, that suffers nothing[2].

  1. Voir la Théologie allemande, p. 93.
  2. « … Car tu as été comme un homme
    Qui, en souffrant tout, ne souffre rien. »