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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/181

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Et ceci s’explique par le fait qu’un tel caractère, reconnaissant aussi sa propre essence dans les autres, et participant en conséquence à leur destin, aperçoit presque toujours autour de lui des destinées encore plus dures que la sienne, ce qui ne lui permet pas de se plaindre de celle-ci. Un vil égoïste, au contraire, qui limite toute réalité à lui-même et regarde les autres simplement comme des larves et des fantômes, ne prendra aucun intérêt à leur sort et ne se préoccupera que du sien : ce qui a pour résultat une grande sensibilité et des plaintes fréquentes.

C’est précisément ce fait de se reconnaître dans le phénomène étranger duquel procèdent directement, comme je l’ai souvent prouvé, la justice et l’amour du prochain, qui finit par conduire à l’abandon de la volonté. Car les phénomènes dans lesquels celle-ci se manifeste se trouvent si décidément en un état de souffrance, que celui qui étend son « moi » à eux tous ne peut les supporter plus longtemps : juste comme celui qui prend tous les billets d’une loterie, subit nécessairement une grande perte. L’affirmation de la volonté présuppose la limitation de la conscience personnelle à l’individu proprement dit, et compte sur la possibilité d’une existence favorable départie par la main du hasard.

Si, dans la conception du monde, on procède de la chose en soi, — de la volonté de vivre, — on trouve que son noyau, que sa plus grande concentration est l’acte de la génération. Celui-ci se présente alors comme la première des choses, comme le point de départ ; il est le punctum saliens de l’œuf du monde, la chose principale. Quelle différence, au contraire, si l’on pro-