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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/187

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attaché une grande importance à leur salut éternel, ont aussi choisi la pauvreté volontaire, quand le sort la leur avait refusée et qu’ils étaient nés dans la richesse. Ainsi le Bouddha Çakya-Mouni, qui, né prince, prit de lui-même le bâton de mendiant ; ainsi François d’Assise, le fondateur des ordres mendiants, qui, jeune évaporé jusque-là, s’entendant, à un bal auquel assistaient les filles des notables de la ville, poser cette question : « Eh bien ! seigneur François, ne ferez-vous pas bientôt un choix parmi ces belles ? », répondit : « J’en ai choisi une beaucoup plus belle. » — « Et laquelle ? » — « La pauvreté. » Après quoi, laissant bientôt tout là, il parcourut le pays en mendiant son pain.

Celui qui se représente, par de telles considérations, combien la misère et les souffrances sont le plus souvent nécessaires à notre salut, reconnaîtra que nous devrions envier les autres moins pour leur bonheur que pour leur malheur.

Pour la même raison, le stoïcisme qui défie le sort est évidemment une bonne cuirasse contre les maux de la vie, utile pour mieux supporter le présent ; mais il est opposé au salut véritable, car il endurcit le cœur. Comment celui-ci devrait-il s’améliorer par la souffrance, si, revêtu d’une enveloppe de pierre, il ne la ressent pas ? Au demeurant, un certain degré de ce stoïcisme n’est pas très rare. Souvent il peut être affecté et rappeler le « bonne mine à mauvais jeu[1] ». Mais là où il est naturel, il provient le plus souvent d’absence de sentiment, de manque d’énergie, de vivacité, de sensibilité et d’imagination ; ces facteurs-là sont requis même pour un

  1. En français dans le texte.