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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/193

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Un être humain se trouve tout à coup exister, à son grand étonnement, alors que pendant de longs siècles il n’a pas existé, et qu’au bout d’un court laps de temps il restera tout autant de siècles sans exister. « Cela ne peut être ! », proteste le cœur ; et même les intelligences grossières, en portant leur pensée sur ce point, ont un pressentiment de l’idéalité du temps. Celle-ci est, avec celle de l’espace, la clé de toute métaphysique véritable, parce qu’elle ouvre le champ à un tout autre ordre de choses qu’à celui de la nature. Voilà pourquoi Kant est si grand.

De chaque événement de notre vie on ne peut dire qu’un moment : il est ; ensuite il faut dire pour toujours : il était. Chaque soir nous sommes plus pauvres d’un jour. La constatation de l’écoulement de notre court laps d’existence nous rendrait peut-être fous, si nous ne sentions secrètement tout au fond de notre être que nous sommes en possession de la source intarissable de l’éternité, qui nous permet de renouveler sans cesse la vie.

Des considérations de cette nature ont en tout cas pour effet d’établir que le comble de la sagesse est de jouir du présent, et qu’il faut assigner ce but à sa vie. Le présent seul en effet est réel, tout le reste ne serait qu’un jeu d’imagination. Mais on pourrait tout aussi bien qualifier ceci de comble de la folie : car ce qui n’existe plus un moment après, ce qui disparaît aussi complètement qu’un songe, ne vaut jamais la peine d’un sérieux effort.

Notre existence n’a pas d’autre base que le présent qui s’enfuit. Aussi a-t-elle essentiellement pour forme