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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/194

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le mouvement continuel, sans possibilité d’atteindre au repos auquel nous aspirons sans cesse. Elle ressemble à un homme qui descend en courant une montagne, qui tomberait s’il voulait s’arrêter, et ne se maintient sur ses jambes qu’en poursuivant sa course ; ou à un pendule balancé sur le bout du doigt ; ou encore à la planète qui se heurterait avec son soleil, dès qu’elle cesserait sa marche irrésistible en avant. L’agitation est donc le type de l’existence.

Dans un monde comme celui-là, où aucune stabilité d’aucun genre, aucun état durable ne sont possibles, mais où toute chose est en proie à un éternel mouvement et au changement, où tout se hâte, fuit, se maintient sur la corde tendue en avançant et en remuant toujours, il ne faut pas même songer au bonheur. Il ne peut pas habiter là où ne se trouve, comme dit Platon, que « le continuel devenir et jamais l’être ». Avant tout, nul être humain n’est heureux ; il aspire, sa vie entière, à un prétendu bonheur qu’il atteint rarement, et, quand il l’atteint, c’est seulement pour être déçu ; mais, en règle générale, chacun finit par rentrer au port après avoir fait naufrage, avec son vaisseau désemparé. Et peu importe, après tout, s’il a été heureux ou malheureux, dans une vie qui a seulement consisté en un présent sans durée, et qui maintenant a pris fin.

En attendant, il y a lieu de s’étonner de voir comment, dans le monde humain aussi bien que dans le monde animal, ce grand mouvement complexe et sans repos est produit et maintenu en activité par ces deux simples impulsions, la faim et l’instinct sexuel, auxquelles vient bien encore s’ajouter un peu d’ennui, et comment elles ont le pouvoir de former le primum