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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/197

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en tout ordre de choses, — période qui se caractérise très justement par le mot aussi prétentieux que cacophonique de « temps présent », comme si leur « maintenant » était le « maintenant » κατ’ ἐξοχήν, le « maintenant » qui n’existe que grâce à tous les autres, — les panthéistes eux-mêmes n’ont pas honte de dire que la vie est, selon leur expression, son « propre but ». Si l’existence que nous menons était le but suprême du monde, ce serait le but le plus inepte qui ait jamais été assigné. Nous-même ou tout autre aurions pu le fixer.

L’existence se présente avant tout comme une tâche, celle de subsister, « de gagner sa vie[1] ». Ce point une fois assuré, ce qu’on a acquis devient un fardeau, et alors s’impose une seconde tâche, celle d’en disposer, en vue d’éviter l’ennui qui s’abat, comme un oiseau de proie aux aguets, sur toute existence à l’abri du besoin. Ainsi donc, la première tâche est de gagner quelque chose, et la seconde d’oublier qu’on l’a gagné, sans quoi cela devient un fardeau.

La vie humaine doit être une espèce de méprise. Cela ressort surabondamment du fait que l’homme est un composé de besoins dont la satisfaction difficile ne lui procure qu’un état sans douleur, dans lequel il est livré seulement à l’ennui ; et celui-ci prouve directement que l’existence en elle-même n’a aucune valeur, puisque l’ennui n’est que le sentiment de la futilité de la vie. Si en effet la vie, dont le vif désir constitue notre être et notre existence, avait en elle-même une valeur positive et un contenu réel, il ne pourrait y

  1. En français dans le texte.