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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/208

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volonté et comme représentation (livre IV, § 69) la seule raison morale valable contre le suicide. Elle consiste en ce que le suicide s’oppose à ce qu’on atteigne le but moral par excellence, puisqu’il substitue au véritable affranchissement de ce monde de douleur un affranchissement qui n’est qu’apparent. Mais de cette erreur à un crime, comme le clergé chrétien le prétend, la distance est grande.

Le christianisme porte tout au fond de lui cette vérité, que la souffrance (la croix) est le but proprement dit de la vie. Voilà pourquoi il rejette le suicide, comme opposé à ce but, tandis que l’antiquité, d’un point de vue plus bas, l’approuvait et même l’honorait. Cette raison contre le suicide est cependant une raison ascétique, et elle ne vaut donc que d’un point de vue éthique beaucoup plus élevé que celui auquel ont jamais pu se placer les philosophes moraux européens. Mais si nous descendons de ce point très élevé, il n’existe plus de raison morale valable pour condamner le suicide. Le zèle extraordinairement vif déployé contre lui par le clergé des religions monothéistes, zèle qui ne s’appuie cependant ni sur la Bible ni sur des raisons solides, semble donc reposer sur une raison cachée. Celle-ci ne serait-elle pas que l’abandon volontaire de la vie est un mauvais compliment pour celui qui a dit : πάντα καλὰ λίαν ? Ce serait donc, cas si fréquent, l’optimisme obligatoire de ces religions qui attaque le suicide, pour ne pas être attaqué par lui.

Nous trouverons, en résumé, que du moment où les terreurs de la vie l’emportent sur les terreurs de la mort, l’homme met fin à son existence. La résistance à