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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/209

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ces terreurs est néanmoins considérable ; elles sont là comme des gardiens devant la porte de sortie. Il n’y a peut-être pas un seul être vivant qui n’aurait déjà mis fin à son existence, si cette fin était quelque chose de purement négatif, une soudaine cessation de la vie. Mais il y a un côté positif en elle : la destruction du corps. Celle-ci fait reculer d’effroi, précisément parce que le corps est le phénomène de la volonté de vivre.

Quoi qu’il en soit, la lutte avec ces gardiens n’est pas en général si pénible qu’elle peut nous le sembler de loin ; et cela par suite de l’antagonisme entre les souffrances intellectuelles et les souffrances corporelles. Quand, par exemple, nous éprouvons des souffrances corporelles très fortes ou continuelles, nous devenons indifférents à tout autre chagrin ; notre rétablissement seul nous tient à cœur. De la même façon, de fortes souffrances intellectuelles nous rendent insensibles aux souffrances corporelles ; nous les méprisons. Même si elles viennent à l’emporter sur les autres, c’est pour nous une diversion bienfaisante, une pause dans nos souffrances intellectuelles. C’est ce qui rend le suicide plus facile, en ce que la douleur corporelle associée à cet acte perd toute importance aux yeux d’un homme torturé par d’excessives souffrances mentales. Ceci se voit surtout chez ceux qui sont poussés au suicide par une mélancolie purement maladive et néanmoins profonde. Ils n’ont aucun empire à exercer sur eux-mêmes, ils n’ont pas besoin de faire les premiers pas ; mais dès que le gardien chargé de veiller sur eux les laisse seuls pendant deux minutes, ils mettent rapidement fin à leur vie.