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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/22

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La sagesse du brahmane, le code de la morale orientale ; et, de nos jours, un poète distingué, le comte Schack, traducteur de Firdousi, a emprunté à l’Orient une grande part de son inspiration. On est en droit de dire que beaucoup de bons esprits, en Allemagne, ont cru trouver dans l’Inde le dernier mot de la sagesse et une véritable renaissance philosophique et religieuse. Le pays des Védas est devenu pour l’Allemagne savante comme une seconde patrie, et quelqu’un a dit un jour ce mot : « Grattez un Allemand, et vous verrez reparaître l’antique sectateur du Bouddha. »

Les religions proprement dites laissées de côté, la chose qui irrite au plus haut degré notre philosophe, c’est le théisme. Il ne fait à peu près aucune différence entre lui et l’athéisme, et se soucie fort peu qu’on le qualifie d’athée, ce mot, dit-il, ne signifiant pas grand’chose. « Si je cherche à me représenter que je me trouve en présence d’un être individuel auquel je dirais : « Mon créateur ! je n’ai d’abord rien été ; c’est toi qui m’as produit, de sorte que maintenant je suis quelque chose, je suis moi » ; et si j’ajoutais : « Je te remercie pour ce bienfait » ; et si je terminais même ainsi : « Si je n’ai rien valu, c’est ma faute » ; j’avoue que, par suite de mes études philosophiques et de ma connaissance des doctrines de l’Inde, ma tête est incapable de supporter cette idée. » Il n’accorde d’ailleurs pas beaucoup plus d’importance au panthéisme qu’au théisme, en raison de son optimisme. « Regarder a priori ce monde comme un Dieu, c’est ce dont personne n’aurait l’idée. Ce devrait être un Dieu bien mal avisé, qui ne saurait pas un meilleur amusement que de se transformer en un monde comme celui-ci ! » Nommer le monde « Dieu », ce n’est pas l’expliquer, mais simplement enrichir la langue d’un synonyme superflu du mot « monde ». Le panthéisme, qui n’est, dit-il ailleurs, qu’ « un athéisme poli », a cependant raison contre le théisme, en ce que, d’après lui, la nature porte en elle-même sa force.

Que serait un Dieu qui pousserait seulement du dehors.
Qui laisserait courir l’univers en cercle au bout de son doigt ?
Il lui appartient de mouvoir le monde à l’intérieur,
D’incarner en lui la nature, de s’incarner lui-même dans la nature.