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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/21

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ténèbres opaques qui voilent les choses sous une apparence mensongère. Le pessimiste allemand communie, dans ce culte des héros en général, avec l’optimiste anglais Carlyle.

Il y a toutefois dans d’autres contrées, du globe des religions qui ont écarté plus complètement encore le voile de Maia, qui ont enfanté des héros plus achevés et plus saints que ceux du christianisme. Ces religions sont le brahmanisme et le bouddhisme, qui partent du sansara pour s’élever au nirvana, c’est-à-dire du monde des sens au monde de l’existence abstraite, affranchie de volonté, de passion, de plaisir, de peine. Leurs ascètes sont, de tous les mortels, ceux qui ont percé le plus à fond la vanité de la vie humaine. Dans ces religions, l’esprit n’est pas tué par la lettre, comme dans le christianisme ; les prêtres du Bouddha ne sont pas, comme ceux du Christ, des menteurs qui prêchent ce qu’ils savent être faux et des intrigants qui, sous couleur d’enseignement moral, travaillent à la réalisation de vues politiques qui visent tout simplement à la domination des âmes et des corps. Ajoutons à cela l’évangile de bonté active envers les hommes, de pitié efficace envers les animaux, qu’elles ne se lassent pas de prêcher, et l’on s’expliquera aisément que, pour ces diverses raisons, Schopenhauer devait se rallier naturellement à ces conceptions d’une hauteur incontestable, plus philosophiques encore que religieuses.

Les deux grandes religions de l’Inde possèdent d’ailleurs, depuis la seconde moitié du xviiie siècle, d’assez nombreux adeptes en Allemagne. Le grave Herder et le fantasque Hamann les révélèrent des premiers à leurs compatriotes, et Frédéric Schlegel leur ouvrit un lit plus profond avec son livre sur La sagesse des Indous, qui passionna tant d’esprits éminents. Goethe entra bien vite en communion avec les doctrines exposées dans ce livre, quoiqu’il n’aimât pas l’auteur, et quelques-uns de ses meilleurs poèmes présentent l’influence des idées religieuses et morales de l’Orient, non seulement de l’Inde, mais aussi de la Perse, dont le poète Hafiz, traduit en 1812 par Hammer-Purgstall, était un de ses favoris. Du temps même de Schopenhauer, Frédéric Ruckert traçait en vers éloquents et harmonieux, quoique un peu trop prolixes, dans