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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/28

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« Qu’on reproche toute l’étroitesse qu’on voudra à ses doctrines comme métaphysicien et comme philosophe pessimiste et aristocratique, dit M. Johannès Volkelt[1], il n’en est pas moins vrai qu’elles peuvent servir de bon contrepoids à la puissance de certains préjugés modernes funestes. La culture du temps présent est pleine de manque de critique et de superstition ; et il me semble que Schopenhauer n’est pas en cela le plus mauvais moyen d’épuration. Mais, abstraction faite de ces rapports avec les égarements modernes, sa philosophie est riche en vues pleines d’utilité. Si accusées et nombreuses que puissent être ses contradictions, ses affirmations inconsidérées et ses brusques saillies, si exagérée, aveuglée et même empêtrée qu’elle soit souvent, un point sur lequel tout le monde s’accorde, c’est qu’elle renferme un grand nombre d’excellentes idées destinées à rendre clairvoyant ; c’est qu’elle est chargée de précieuses vérités qui ont fait leurs preuves, et particulièrement riche aussi en incitations à pratiquer une existence vaillante et libre… Mais l’étude approfondie de Schopenhauer apporte encore un autre gain. Derrière sa philosophie se trouve une personnalité caractéristique et à très forte empreinte facilement saisissable. L’homme empirique, chez Schopenhauer, a plus d’un côté mesquin, trouble, égoïste, maladif ; dans ses œuvres, au contraire, son être s’adresse à nous sous une forme épurée et relevée, comme si c’était en quelque sorte l’homme intelligible qui nous parlait. Et si l’homme empirique déploie déjà à nos yeux, en dépit de tous ses traits choquants et par trop terrestres, une manière d’être significative, puissante, captivante, cela s’applique plus encore à sa personnalité d’écrivain. Elle se présente à nous comme une affirmation géniale de l’esprit du monde, ou, pour parler plus modestement, de l’esprit de la terre, affirmation qui procède de l’abondance et de la plénitude des forces. Si le génie de l’humanité devait s’épuiser dans tous les grands types possibles, c’est quelque chose comme un Schopenhauer

  1. Arthur Schopenhauer : seine Persönlichkeit, seine Lehre, sein Glaube ; 2e édit., 1901, Stuttgart, pp. 3-5, 353.