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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/36

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prendre qu’il faut satisfaire les besoins du peuple dans la mesure de son intelligence. La religion est l’unique moyen de faire connaître et sentir à l’esprit grossier et à la compréhension obtuse de la foule, enlisée comme elle l’est dans sa basse activité et dans son travail matériel, la haute signification de la vie. L’homme ordinaire, en effet, n’aspire tout d’abord qu’à la satisfaction de ses besoins et désirs physiques, et ensuite à quelque amusement et passe-temps. Les fondateurs de religions et les philosophes apparaissent pour le secouer de sa torpeur et lui indiquer le sens élevé de l’existence : les philosophes, pour le petit nombre, les émancipés ; les fondateurs de religions, pour le grand nombre, l’humanité en gros. Comme l’a déjà dit ton ami Platon : φιλόσοφον πλῆθος ἀδύνατον εἶναι[1], et tu ne devrais pas l’oublier. La religion est la métaphysique du peuple ; il faut absolument la lui laisser, et par conséquent l’honorer extérieurement ; la discréditer, c’est la lui enlever. De même qu’il y a une poésie populaire, et, dans les proverbes, une sagesse populaire, il doit y avoir aussi une métaphysique populaire. Les hommes ont besoin à tout prix d’une interprétation de la vie, qui doit être en rapport avec leur force de conception. Cette interprétation est donc toujours un revêtement allégorique de la vérité, et son effet au point de vue pratique et moral, c’est-à-dire comme règle de conduite de nos actes et comme consolation dans les souffrances et dans la mort, est peut-être aussi efficace que pourrait l’être la vérité elle-même, si nous la possédions. Ne sois pas choqué de sa forme inculte, baroque, d’ap-

  1. « Il est impossible que la foule soit philosophe ».