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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/37

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parence absurde. Avec ta culture et ton savoir, tu ne peux t’imaginer ce qu’il faut de détours pour inculquer au peuple, avec sa grossièreté, des vérités profondes. Les différentes religions ne sont donc que des schémas différents sous lesquels le peuple saisit et se représente la vérité qui lui est inaccessible en elle-même, et qui cependant est inséparable de ces formes. Ainsi donc, mon cher, permets-moi de te le dire, railler les religions, c’est faire preuve d’un esprit borné et injuste.

Philalèthe. — Mais n’est-ce pas faire également preuve d’un esprit borné et injuste, que de ne pas admettre d’autre métaphysique que celle taillée sur les besoins et l’intelligence du peuple ? de réclamer que les doctrines de celle-ci soient la limite des recherches humaines et la loi de toute pensée, de façon que la métaphysique du petit nombre et des émancipés, comme tu les nommes, doive aboutir aussi à confirmer, fortifier et commenter cette métaphysique du peuple ? qu’ainsi les facultés suprêmes de l’esprit humain restent sans emploi et arrêtées dans leur développement, même étouffées en germe, afin que leur activité ne vienne pas se mettre peut-être à la traverse de cette métaphysique populaire ? Et ne sont-ce pas là au fond les prétentions réelles de la religion ? A-t-elle le droit de prêcher la tolérance et jusqu’aux tendres égards, celle qui est l’intolérance et le manque d’égards même ? J’invoque en témoignage les tribunaux d’hérétiques et les inquisitions, les guerres de religion et les croisades, la coupe de Socrate et les bûchers de Giordano Bruno et de Vanini ! Et dira-t-on que tout cela appartient au passé ? Quel obstacle plus grand peut être opposé au véritable effort philosophique, à la recherche sincère