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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/39

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l’homme ne pourra guère douter de ces doctrines plus que de sa propre existence. Voilà pourquoi, sur des milliers d’individus, un seul à peine possédera assez de fermeté d’esprit pour se demander sérieusement et sincèrement cela est-il vrai ? Aussi la qualification d’ « esprits forts », donnée à ceux qui la possèdent, est-elle beaucoup plus juste qu’on ne se l’imaginait. Quant aux autres, il n’est aucune chose si absurde ou si révoltante qui, inculquée de cette façon, ne s’enracinerait en une foi profonde. Si le meurtre d’un hérétique ou d’un infidèle était, par exemple, un point essentiel du salut futur de leur âme, presque tous en feraient l’objet principal de leur existence et trouveraient, en mourant, une consolation et un réconfort dans le souvenir de leurs hauts faits à cet égard. C’est ainsi que, autrefois, presque chaque Espagnol regardait un autodafé comme l’œuvre la plus pieuse et la plus agréable à Dieu. L’Inde nous en offre un pendant avec sa secte des Thugs, que les Anglais ont récemment détruite, grâce à l’exécution d’un grand nombre d’entre eux ; ils témoignaient leur religiosité et leur respect envers la déesse Kali, en assassinant en chaque occasion leurs propres amis et compagnons de voyage, pour s’emparer de leurs biens, et ils s’imaginaient très sérieusement accomplir ainsi quelque chose de très louable et d’utile à leur salut éternel[1]. La puissance des dogmes religieux inculqués de bonne heure est si forte, qu’elle peut étouffer la conscience, et par là toute pitié comme toute humanité. Veux-tu voir de tes propres yeux et de

  1. Illustrations of the History and Practice of the Thugs, London, 1837. — Voir aussi Edinburgh Review, octobre 1836 et janvier 1837.