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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/43

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de nos connaissances, elles faussent de part en part l’ensemble du savoir humain. C’est ce dont témoigne chaque littérature, tout particulièrement celle du moyen âge, mais à un trop haut degré aussi celle du xvi et du xvii siècles. Ne voyons-nous pas, à toutes ces époques, même les esprits de premier ordre comme paralysés par ces fausses conceptions fondamentales ? Spécialement toute intelligence de la véritable essence et de l’action de la nature leur était entièrement dérobée. Durant toute la période chrétienne, le théisme pèse comme un cauchemar sur tous les efforts intellectuels, surtout philosophiques, et arrête ou gâte chaque progrès. Dieu, diable, anges et démons cachent aux savants de ces temps-là la nature entière ; on ne mène aucune recherche jusqu’au bout, on ne va au fond d’aucune étude ; tout ce qui dépasse le nexus causal absolument évident est bien vite mis sur le compte de ces personnalités. C’est ce que dit Pomponace en une semblable occasion : Certè philosophi nihil verisimile habent ad hæc, quare necesse est ad Deum, ad angelos et dæmones recurrere[1] (De Incantationibus, chap. VII). On peut, il est vrai, soupçonner ici ce personnage d’ironie ; on connaît sa malice sous d’autres rapports ; mais il n’a fait qu’exprimer par cette phrase la manière de penser générale de son époque. Si un homme, au contraire, possédait réellement cette rare élasticité d’esprit qui permet seule de briser les barrières, on brûlait ses écrits, et l’homme même souvent avec eux : c’est ce qui advint à Giordano Bruno et à Vanini. Jusqu’à quel point ce

  1. « Les philosophes n’expliquent certainement pas ces choses d’une façon vraisemblable, et voilà pourquoi il est nécessaire de recourir à Dieu, aux anges et aux démons. »