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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/44

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dressage métaphysique précoce paralyse les cerveaux ordinaires, c’est ce dont l’on se rend le mieux compte, et par le côté ridicule, quand ceux-ci entreprennent de critiquer une croyance étrangère. Ils s’efforcent uniquement de démontrer à grand renfort de preuves que les dogmes de cette croyance ne s’accordent pas avec ceux de la leur, vu que non seulement ils ne disent pas, mais ne veulent certainement pas non plus dire la même chose que ceux-ci. Ils s’imaginent ainsi, dans leur simplicité, avoir prouvé la fausseté de la croyance étrangère. Il ne leur vient pas du tout à l’idée de se demander laquelle des deux croyances peut être la bonne ; leurs propres articles de foi sont pour eux des principes sûrs a priori. Le révérend M. Morrison fournit un amusant exemple de ce genre dans le tome XX de l’Asiatic Journal, où il critique la religion et la philosophie des Chinois. C’est vraiment désopilant !

Démophèle. — Voilà donc ton point de vue le plus haut. Mais je t’assure qu’il y en a un plus haut encore. Le primum vivere, deinde philosophari[1], a une signification plus étendue qu’il n’apparaît au premier abord. Il s’agit, avant tout, de dompter les instincts grossiers et mauvais de la foule, pour la détourner de l’injustice extrême, de la cruauté, des actes violents et honteux. Si l’on attendait qu’elle reconnût et embrassât la vérité, on arriverait assurément trop tard. En supposant même qu’elle l’ait déjà trouvée, celle-ci dépasserait sa force de compréhension. La seule chose qui lui convienne, c’est un revêtement allégorique de cette vérité, une parabole, un mythe. Comme l’a dit Kant, il doit y

  1. « D’abord vivre, ensuite philosopher. »