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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/48

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Démophèle. — Mais la religion n’est pas en contradiction avec la vérité ; n’enseigne-t-elle pas elle-même la vérité ? Seulement, comme son cercle d’action n’est pas une étroite salle de cours, mais le monde et l’humanité en grand, elle ne doit pas, conformément aux besoins et à l’intelligence d’un public si étendu et si mêlé, laisser apparaître la vérité nue ; ou, pour employer une comparaison médicale, elle ne doit pas la présenter pure, mais recourir, comme à un moyen terme, à un excipient mythique. Tu peux aussi, sous ce rapport, la comparer à certaines matières chimiques gazeuses en elles-mêmes, qu’on doit unir, pour l’usage pharmaceutique, comme pour leur préservation ou leur transmission, à une base solide et palpable, parce qu’autrement elles se volatilisent. Par exemple, le chlore, pour tous ces usages, n’est employé que sous la forme de chlorures. Au cas où la vérité pure et abstraite, affranchie de tout mythe, nous resterait à jamais inaccessible à tous, sans en excepter les philosophes, elle serait comparable au fluor, qui ne peut pas même se présenter isolé, mais seulement uni à d’autres matières. Ou, pour parler moins doctement, la vérité qui ne peut s’exprimer que sous le voile du mythe et de l’allégorie ressemble à l’eau qui n’est pas transportable sans un récipient ; quant aux philosophes qui persistent à la posséder pure, ils sont comme celui qui briserait le récipient pour avoir l’eau à lui tout seul. Peut-être l’analogie est-elle fondée. En tout cas, la religion est la vérité exprimée sous une forme allégorique et mythique, et rendue ainsi accessible et assimilable à l’humanité en gros. Pure et non mélangée, celle-ci ne pourrait jamais la supporter, pas plus que l’homme ne peut vivre dans