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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/51

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Le mythe et l’allégorie sont en réalité le véritable élément de la religion ; sous cette condition indispensable, par suite de la limitation intellectuelle de la masse, elle donne grande satisfaction aux besoins métaphysiques inextirpables de l’homme, et prend la place de la vérité philosophique pure, qui est infiniment difficile et peut-être inattingible.

Philalèthe. — Oui, à peu près comme une jambe de bois remplace une jambe véritable. Elle la supplée, rend tant bien que mal les mêmes services, a la prétention de passer pour une jambe naturelle, est plus ou moins habilement faite, etc. La différence, c’est qu’en règle générale la jambe naturelle a précédé la jambe de bois, tandis que la religion a partout pris les devants sur la philosophie.

Démophèle. — C’est possible ; mais pour celui qui n’a pas sa jambe véritable, une jambe de bois a une grande valeur. Tu ne dois pas perdre de vue que le besoin métaphysique de l’homme veut être absolument satisfait ; l’horizon de ses idées doit être défini, et non rester illimité. Or, l’homme n’a pas d’ordinaire assez de discernement pour peser les raisons et décider ensuite entre le vrai et le faux ; en outre, le travail qui lui est imposé par la nature et par ses exigences ne lui laisse pas de temps pour ces recherches, ni pour l’instruction qu’elles présupposent. Il ne peut donc être question pour lui de persuasion par des raisons ; il doit s’en remettre à la foi et à l’autorité. Même si une philosophie tout à fait vraie venait à prendre la place de la religion, elle ne serait acceptée par plus des neuf dixièmes des hommes que sur autorité. Elle serait donc de nouveau une affaire de foi. On en restera toujours au φιλόσοφον