Aller au contenu

Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

absurde, recélant en lui une haute vérité complètement inaccessible à l’intelligence vulgaire de la foule grossière. Celle-ci l’accepte de confiance sous ce déguisement, sans prendre le change sur son absurdité patente, et elle a ainsi sa part, autant qu’elle en est capable, de la chose en elle-même. Je puis ajouter, comme éclaircissement de ma pensée, que même en philosophie on a essayé de recourir au mystère ; par exemple, quand Pascal, qui était à la fois un piétiste, un mathématicien et un philosophe, dit : « Dieu est partout centre, et nulle part périphérie ». Malebranche, lui aussi, a fait cette remarque très juste : « La liberté est un mystère ». On pourrait aller plus loin et affirmer que, dans les religions, tout est en réalité mystère. Présenter au peuple grossier la vérité sensu proprio, est chose tout à fait impossible ; un reflet mytho-allégorique de celle-ci peut seul tomber sur lui et l’éclairer. La vérité nue ne doit pas se montrer au profane vulgaire ; elle ne doit se présenter à ses yeux que sous un voile épais. Aussi est-il absolument déraisonnable de demander à une religion qu’elle soit vraie sensu proprio ; et voilà pourquoi, soit dit en passant, rationalistes et supernaturalistes actuels sont absurdes, quand ils partent les uns et les autres de la supposition qu’il doit en être ainsi. Tandis que ceux-là prouvent qu’elle n’est pas vraie en ce sens, ceux-ci affirment opiniâtrément qu’elle l’est ; ou, plutôt, les premiers façonnent et arrangent l’allégorie de façon qu’elle pourrait être vraie sensu proprio, mais serait une platitude ; les seconds l’affirment vraie sensu proprio, sans arrangement, — affirmation impossible à mettre en pratique, ils devraient le savoir, sans les tribunaux d’hérétiques et les bûchers.