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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/55

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tales, prenant en main les écrits mêmes des plus belles intelligences des xvie et xviie siècles, je constate comment elles sont partout paralysées et de toutes parts enrayées par l’idée fondamentale judaïque. Faites-vous une idée, après cela, de la vraie philosophie !

Démophèle. — Et quand on la trouverait, cette vraie philosophie, la religion ne disparaîtrait pas pour cela du monde, ainsi que tu te l’imagines. Il ne peut y avoir une seule métaphysique pour tous la différence naturelle des intelligences, à laquelle s’ajoute celle de leur formation, ne le permet pas. La grande majorité des hommes doit nécessairement se livrer au pénible travail corporel indispensable à la satisfaction des besoins infinis de la race entière. Non seulement il ne leur laisse pas de temps pour se former, pour apprendre, pour penser ; mais, par suite de l’antagonisme décidé entre l’irritabilité et la sensibilité, le travail corporel excessif émousse l’esprit, le rend lourd, maladroit, et incapable de comprendre autre chose que ce qui est tout à fait simple et palpable. Or, les neuf dixièmes au moins de l’humanité rentrent dans cette catégorie. Il faut donc aux gens une métaphysique, c’est-à-dire une explication du monde et de l’existence : cette explication fait partie des besoins les plus naturels de l’homme. Et il leur faut une métaphysique populaire, qui, pour être telle, doit réunir de nombreuses et rares qualités. Elle doit être très saisissable, et en même temps enveloppée d’une certaine obscurité, et même d’impénétrabilité, aux endroits nécessaires ; une morale correcte et satisfaisante doit se relier ensuite à ses dogmes ; mais, avant tout, elle doit apporter des consolations inépuisables dans la souffrance et dans la mort. Il s’ensuit déjà qu’elle ne