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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/61

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dois donc bien te garder de rendre suspecte et de finir par enlever ainsi au peuple, au moyen de mesquines ergoteries théoriques, une chose qui est pour lui une source inépuisable de consolation et d’apaisement ; et de cela, vu son triste sort, il a encore plus besoin que nous. Pour cette seule raison, la religion devrait rester inattaquable.

Philalèthe. — Avec cet argument, on aurait pu forcer Luther à battre en retraite, quand il s’en prit au commerce des indulgences. À combien de personnes, en effet, les lettres d’indulgence n’ont-elles pas apporté une consolation incomparable et une complète tranquillité ! De sorte que, convaincues d’avoir en mains, au moment suprême, autant de cartes d’entrée pour les neuf cieux, elles mouraient avec une confiance joyeuse. À quoi peuvent servir des motifs de consolation et de tranquillité au-dessus desquels plane constamment l’épée de Damoclès de la désillusion ? La vérité, mon ami, la vérité seule tient bon, et demeure constante et fidèle. La consolation qu’elle apporte est la seule solide : c’est l’indestructible diamant.

Démophèle. — Oui, si tous, tant que vous êtes, aviez la vérité dans votre poche, pour nous en faire jouir sur réquisition. Mais ce que vous avez, ce ne sont que des systèmes de métaphysique où rien n’est certain, sauf les maux de tête qu’ils causent. Avant d’enlever une chose à quelqu’un, il faut le dédommager par une chose meilleure.

Philalèthe. — Oh ! toujours ce même raisonnement ! Délivrer quelqu’un d’une erreur, ce n’est pas lui enlever une chose, mais lui en donner une. Reconnaître en effet qu’une chose est fausse, c’est affirmer une vérité. Or,