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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/68

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(μεγαλοπρέπεια), la magnanimité, la libéralité, la douceur, le bon sens et la sagesse. Combien différentes des vertus chrétiennes ! Même Platon, qui est sans conteste le philosophe le plus transcendant de l’antiquité antérieure au christianisme, ne connaît pas de vertu plus haute que la justice ; et lui seul la recommande sans conditions et pour elle-même, tandis que, aux yeux de tous les autres philosophes, le but de toute vertu est une vie heureuse, — vita beata, — et la moralité la route qui y mène. Le christianisme a délivré les habitants de l’Europe de cette plate et grossière absorption dans une existence éphémère, incertaine et vide,

Os homini sublime dedit cœlumque tueri
Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus[1].

Le christianisme n’a donc pas prêché seulement la justice, mais l’amour du prochain, la pitié, la bienfaisance, la réconciliation, l’amour de ses ennemis, la patience, l’humilité, la renonciation, la foi et l’espérance. Il est allé plus loin. Il a enseigné que le monde est mauvais, et que nous avons besoin de délivrance. En conséquence, il a prêché le mépris du monde, le renoncement de soi-même, la chasteté, l’abandon de la volonté personnelle, c’est-à-dire l’éloignement de la vie et de ses plaisirs trompeurs. Oui, il a enseigné le pouvoir sanctifiant de la souffrance : un instrument de martyre est son symbole. Je t’accorde volontiers que cette conception sérieuse et seule juste de la vie était déjà, sous d’autres formes, répandue en Asie il y a des milliers d’années, comme elle l’est encore aujourd’hui,

  1. « Il lui ordonna de contempler les cieux et de lever ses regards vers les astres. »