Aller au contenu

Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

côté des religions, que les croyants de l’une s’imaginent tout permis contre les croyants de toutes les autres, et agissent en conséquence contre ceux-ci avec la dernière perversité et la dernière cruauté. Ainsi les mahométans contre les chrétiens et les Indous ; les chrétiens contre les Indous, les mahométans, les peuplades

    drôle audacieux qui s’offrit à tout arranger, si on voulait le suivre et lui obéir. Il avait vu des ânes sauvages, etc. Je regarde cela comme le fondement historique, parce que c’est manifestement la prose sur laquelle a été basée la poésie de l’Exode. Si Justin (c’est-à-dire Trogue Pompée) commet à ce sujet un énorme anachronisme (d’après nos suppositions, qui se basent sur l’Exode), cela m’est tout à fait égal : cent anachronismes me dérangent moins qu’un seul miracle. Nous voyons aussi par les deux historiens romains cités combien, en tout temps et chez tous les peuples, les Juifs ont été détestés et méprisés. Cela peut venir en partie de ce qu’ils ont été le seul peuple de la terre qui n’ait pas attribué à l’homme une existence au delà de cette vie. Aussi a-t-on vu en eux un bétail, la lie de l’humanité, et de grands maîtres dans l’art de mentir.

    Ceux qui, sans connaître l’hébreu, veulent savoir ce qu’est l’Ancien Testament, doivent lire celui-ci dans la traduction des Septante, la plus exacte, la plus authentique, et en même temps la plus belle de toutes. Il prend la un tout autre ton et une autre couleur. Le style des Septante est le plus souvent à la fois noble et naïf ; il n’a non plus rien d’ecclésiastique ni aucun soupçon de christianisme. Comparée à lui, la traduction de Luther paraît à la fois vulgaire et dévote ; elle est le plus souvent inexacte, parfois de propos délibéré, et absolument dans le ton édifiant de l’Église. Aux endroits précités, Luther s’est permis des adoucissements que l’on pourrait qualifier de falsifications : où il traduit par « bannir », le texte porte ἐφόνευσαν, etc.

    Au reste, l’impression que l’étude des Septante a laissée chez moi est une affection cordiale et un respect profond pour le μέγας βασιλεύς Ναβουχοδονόσορ. Je lui reproche toutefois d’avoir traité un peu trop doucement un peuple en possession d’un Dieu qui lui octroyait ou lui promettait les pays de ses voisins, dont il s’emparait ensuite par la rapine et le meurtre, après quoi il y bâtissait un temple au susdit Dieu. Puisse chaque peuple en possession d’un Dieu qui fait des terres voisines autant de « terres promises », trouver à temps son Nabuchodonosor et en plus son Antiochus Épiphane, et être traité sans plus de cérémonies !