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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/99

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un très petit nombre d’êtres aussi ; ceux-ci toutefois ne sont pas spécialement privilégiés, mais sont venus au monde avec des mérites déjà amassés dans une vie antérieure, et ils continuent dans cette voie. En outre, tous les autres ne sont pas précipités dans l’enfer où l’on brûle éternellement, mais transférés dans les mondes adéquats à leurs actions. Si donc l’on demandait aux prêtres de ces religions où sont et ce que sont devenus tous ceux qui ne jouissent pas de la félicité éternelle, ils répondraient : « Regardez autour de vous, les voici. Ici est leur lieu de rassemblement, ici est le sansara, c’est-à-dire le monde du désir, de la naissance, de la douleur, de la vieillesse, de la maladie et de la mort. » Si nous comprenons le dogme d’Augustin sur le si petit nombre des élus et le si grand nombre des réprouvés seulement in sensu allegorico, pour l’expliquer dans le sens de notre philosophie, il s’accorde avec cette vérité qu’en effet bien peu d’êtres parviennent à la négation de la volonté, et par là au salut hors de ce monde (comme les bouddhistes au nirvana). Ce qu’au contraire le dogme personnifie comme damnation éternelle, c’est seulement notre monde à nous : le reste des êtres lui échoit en partage. Ce monde est suffisamment mauvais : c’est le purgatoire, c’est l’enfer, et les démons ne lui manquent pas non plus. On n’a qu’à voir comment, à l’occasion, les hommes traitent les hommes, à l’aide de quels tourments raffinés l’un tue lentement l’autre, et l’on peut ensuite se demander si des démons pourraient faire plus. De même, le séjour en ce monde est éternel aussi pour tous ceux qui, ne revenant pas à de meilleures idées, persistent dans l’affirmation de la volonté de vivre.