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ont accumulés autour des sens toujours inassouvis de Tannhæuser pour se frayer un chemin jusqu’à son cœur, pour l’inonder de la lumière divine d’un autre amour qu’il ne connaissait pas ? Ah ! c’est que ce cri, comme celui de la Léonore de Fidelio : Tœdt erst sein Weib ! franchit la distance entre deux mondes et brise d’un seul flot torrentiel toutes les barrières qui les séparent. Par ce cri, le pur amour se projette du monde divin de l’Âme dans celui de l’épaisse matière, et l’amour spirituel triomphe de l’amour humain. C’est l’irruption d’un fleuve de lumière qui jaillit par une blessure ouverte. Maintenant il va déborder dans les paroles d’Élisabeth, qui acquièrent la force d’un oracle et d’une inspiration céleste par la puissance sacrée de la douleur et du sacrifice ! Ce fleuve d’émotion, qui désormais emportera le drame vers son but, crée, en quelque sorte, un nouveau style, un nouveau rythme musical, qui est le plus grand style de Wagner.

Au troisième acte, en effet, l’âme d’Élisabeth est devenue la puissance occulte et souveraine qui pousse le drame vers son accomplissement : le salut du coupable par le pouvoir rédempteur de l’amour, par le renoncement de celle qui s’est donnée à lui en pensée et qui, pour le sauver, offre sa vie en holocauste. Cette idée toute chrétienne, et d’une si profonde vérité, se déroule pendant ce troisième acte en une série de scènes émouvantes, d’une poésie intime qu’enveloppe un charme de mélancolie automnale.

Et tout d’abord, quel chef-d’œuvre de conception poétique et d’instrumentation que le prélude ! La prière fervente d’Élisabeth et le sombre désespoir de Tannhæuser, la litanie des pèlerins repentants et le motif du salut s’y répondent comme dans le monologue d’une âme angoissée. Puis, tout à coup, une supplication passionnée, impérieuse de tous les instruments à cordes, qui finit en un cri déchirant. Cri de désespoir et de mort, cri d’une âme qui s’offre au martyre et d’où sortira la rédemption. Après quoi, comme les branches mortes d’une vie déracinée, les motifs se brisent et s’effeuillent un à un dans un