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Page:Schuré - Tannhæuser, 1892.djvu/14

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célèbre son apothéose, par dessus la mort des deux amants, dans la victoire de l’esprit sur la chair.

J’ose dire que cette magnifique apothéose nous a été rendue sensible pour la première fois, — dans le mode où le maître l’a conçue, — par la représentation de Bayreuth. Un tel résultat n’est possible que par l’étude approfondie d’une œuvre sous une direction intelligente et par la solidarité de tous les interprètes dans un même enthousiasme. Ce qui caractérise le théâtre de Richard Wagner, dans l’ensemble comme dans chacune de ses pièces, c’est à la fois sa richesse et son unité. Dans tous ces drames, l’idée dominante produit l’exaltation d’un sentiment unique poussé à sa plus haute intensité. Voilà pourquoi leur interprétation ne supporte pas la médiocrité et réclame les plus grands efforts. Mais aussi, en cas de réussite, l’impression est-elle souveraine et transcendante. On sent alors que ces drames révèlent non la surface de la vie, mais son fond, sa vérité intime et universelle, et lorsqu’on y assiste avec la vraie conscience et la vraie sympathie, il semble que par elles le rêve de l’âme se réalise sous nos yeux.

Telle est l’importance que me paraît avoir la représentation de Tannhæuser à Bayreuth au point de vue esthétique. Elle n’en a pas une moins grande, à mon avis, au point de vue de l’idée religieuse qui se dégage de toute l’œuvre de Richard Wagner. Lorsqu’on y regarde de près, il y a dans l’œuvre comme dans la pensée du maître un courant païen et un courant chrétien. — Le courant païen, qui se rattache à la philosophie de Schopenhauer et qui repose sur une conception pessimiste du monde, j’entends non seulement de son état visible, présent et terrestre, mais, d’une manière absolue, de son origine et de sa fin, ce courant païen a trouvé dans la tétralogie des Nibelungen une expression d’autant plus grandiose qu’elle s’est incarnée dans la mythologie Scandinave et dans les légendes héroïques qui sont les traditions mères et les arcanes de la race germanique. Ce que j’appelle, par contre, le courant chrétien dans l’œuvre de Wagner se rattache à une conception spiritualiste et mystique de la