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Page:Schuré - Tannhæuser, 1892.djvu/13

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besoin de mettre fin à la souffrance de celle en qui il a reconnu son ange sauveur, d’Élisabeth qu’il aime maintenant d’un amour sans espoir, mais d’autant plus grand. Durement repoussé par l’Église, le malheureux n’a plus d’autre ressource que de se rejeter dans les bras de la déesse païenne. Ce qu’il y cherche, ce n’est plus le bonheur, mais l’oubli et l’anéantissement. L’évocation fiévreuse de Vénus, la transformation du paysage, l’entrée graduelle dans l’antre de perdition où titillent les appels des désirs insensés, où les voluptueuses sarabandes s’égrènent dans les lointains roses, l’apparition de la déesse sur sa couche de nacre et de corail, la palpitation de sa voix qui atteint, dans le pianissimo, le dernier degré de l’attirance lascive, — vraiment, pour rompre cette magie redoutable, il ne faut rien moins — qu’une sainte ! Wolfram a prononcé le nom d’Élisabeth. À ce nom chéri, au tintement de ces syllabes célestes et rédemptrices, Vénus et sa montagne s’évanouissent dans les ténèbres. Au même moment, des pèlerins noirs traversent la vallée avec des torches ; ils portent sur une civière le corps de la vierge expirée. Tannhæuser tombe inanimé, — mais purifié et sauvé pour toujours devant la dépouille de celle qui est morte en priant pour lui. Cette rédemption, cette félicité suprême, est rendue sensible au spectateur par le chœur triomphal d’une éclatante sonorité qui monte jusqu’au ciel sur les larges ondes de l’orchestre, au-dessus du cadavre de la pure amante de l’Âme, de la sainte martyre du vrai, du divin Amour. La lumière du soleil naissant qui embrase la montagne et les créneaux de la Wartbourg symbolise cette transfiguration. Ici encore, le tableau scénique, magnifiquement accompagné par les fanfares de l’orchestre et des voix, représente et résume l’idée de tout le drame. L’amour et le sacrifice d’Élisabeth ont sauvé le pécheur. Cet amour, qui a jailli au deuxième acte sous le coup de la douleur, en un cri de défense et de sympathie, qui a traversé, au troisième, l’initiation de l’agonie et de la mort, s’est accru comme un fleuve par la force d’une prière toute puissante. Il a vaincu, submergé tous les obstacles, et