Aller au contenu

Page:Schweitzer - J. S. Bach, le musicien-poète.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dant les traits caractéristiques sui generis, il parle à des Français ou à des Italiens comme s’il était des leurs ; chacun peut s’entendre avec lui.

Il lisait tout : la preuve en est dans les sujets de Fugue qu’il prenait aux uns et aux autres, aux Italiens comme aux Allemands. Il entendait le latin et le français, ses manuscrits nous l’apprennent. C’était un penseur et un poëte ; il avait à la fois le sens du pittoresque et celui du drame.

Quant à sa religiosité et à son mysticisme, ils sont d’ordre si pur, si vrai, si profond qu’ils planent au-dessus de toutes les formules. Les cris de joie ou de douleur ne sont-ils pas les mêmes dans toutes les langues ? Devant une tombe, en face de « l’au-delà », suivant qu’il est protestant, catholique ou orthodoxe, l’être humain prend-il différentes attitudes ? En tant qu’appuyée sur la poésie religieuse nationale, l’œuvre de Bach synthétise et résume l’évolution artistique qui se prépare en Allemagne dès le xiie siècle, en dehors de toute tendance confessionnelle. Dans certains Chorals, on retrouve des thèmes Grégoriens. Le Cantor chargé d’enseigner le catéchisme Luthérien aux élèves de St Thomas, écrit des Messes brèves, des Magnificat, et son œuvre de prédilection, celle à laquelle il travaillera le plus longtemps, la reprenant, la remaniant chaque fois qu’il en a le loisir, c’est la Messe en si mineur.

Son génie s’inquiète peu des lignes de démarcation qui cloisonnent notre planète, de toutes ces frontières morales ou politiques établies par les hommes. Comme Homère, comme Shakespeare, comme Dante, il méprise les injures du Temps. Oubliez certaines expressions, certaines tournures de phrase, ces cadences uniformes, ces progressions abusives, en un mot, toutes les petites habitudes d’une époque, le fond reste d’une vigueur, d’une jeunesse décourageantes pour ses débiles successeurs.

À l’âge de trente ans, il s’était senti assez sûr de lui