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Page:Schweitzer - J. S. Bach, le musicien-poète.djvu/35

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En ces mêmes années, où se développe en France une royauté à la puissance sans cesse croissante, et, à sa suite, une littérature nationale, soutenue et encouragée par la cour, l’Allemagne végète dans une sorte d’agonie. La décomposition de l’empire en petites principautés, commencée au Moyen-Âge, s’achève alors. La nation, en tant que nation, disparaît et, avec elle, le sentiment collectif de force intellectuelle, seul capable d’engendrer un grand mouvement littéraire. Les petites cours, appelées à jouer, vers la fin du xviiie siècle, un rôle si important dans le mouvement artistique, témoignent, à l’époque, d’une absence complète d’intérêt pour les choses de l’esprit. De tout son patrimoine antérieur, il ne restait à l’Allemagne que la religion qui ne fût pas atteinte par la barbarie où retombait la nation. Ajoutons que les malheurs qui l’accablaient étaient faits pour détacher l’esprit des choses profanes. C’est donc au sein de la religion que la poésie vient se réfugier. De cette période de désolation sort ainsi la grande poésie spirituelle allemande.

En elle viennent se refléter les événements extérieurs. Le beau cantique funèbre de Valerius Herberger « Valet will ich dir geben, du arge falsche Welt » (Bach VII, No. 50 et 51) date de l’année 1613, où la peste ravageait la Silésie[1], Martin Rinkart (1586-1649) compose son « Nun danket alle Gott » (Bach VII, No. 43) vers la fin de la guerre de Trente ans.

Tous ces poètes, certes, ne sont point des talents de premier ordre ; mais une piété profonde et une langue formée par la lecture de la Bible donnent une sorte de beauté grave à leurs chants. Ils composent beaucoup, trop peut-être. Des

  1. « Valet will ich dir geben ». Ein andechtiges Gebet, damit die Evangeliscbe Bürgerschaft zu Frauenstadt Anno 1613 im Herbst, Gott dem Herrn das Hertz erweichet hat, daß er seine scharffe Zornruthe, unter welcher bey zweytausend Menschen schlaffen sind gegangen, in Gnaden hat niedergelegt. So wol ein tröſtlicher Gesang, darinnen ein frommes Hertz dieser Welt Valet giebt. Beydes geſtellet durch Valerium Herbergerum, Predigern beym Kriplein Christi. Leipzig 1614.