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Page:Schweitzer - J. S. Bach, le musicien-poète.djvu/360

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C’est elle que la composition fait ressortir comme en travail repoussé.

Son instinct dramatique n’est pas moins développé. Le plan de la Passion selon St. Matthieu, si admirablement conçu au point de vue dramatique, est de son invention. Dans chaque texte il cherche des contrastes, des oppositions, des gradations à faire valoir par la musique. C’est dans le Petit recueil de chorals (« Orgelbüchlein ») qu’éclate le mieux l’importance qu’il attache aux contrastes et aux gradations : il y dispose les chorals de manière que l’un donne du relief à l’autre. De même, dans les cantates mystiques, il oppose la crainte de la mort (Todesfurcht), à la joyeuse nostalgie de la mort (Freudige Todessehnsucht). Souvent il rehausse un texte en le commentant par un thème de choral qu’on entend dans l’orchestre. Au texte « Ich steh mit einem Fuß im Grabe » (J’ai déjà un pied dans la tombe), vient s’ajouter le choral « Dieu, agis envers moi selon ta bonté » (Cantate No. 156) ; dans un récitatif de la cantate « Wachet, betet » (Veillez et priez) No. 70, la trompette fait entendre tout à coup le choral du jugement dernier « Es ist gewißlich an der Zeit » ; dans la cantate « Sehet, wir gehen hinauf nach Jerusalem » (Voici, nous allons monter à Jérusalem) No. 159, surgit le choral de la Passion « O Haupt voll Blut und Wunden »[1].

Mais ce qui tient la plus grande place dans son œuvre, c’est la poésie picturale. Avant tout, il recherche l’image, tout différent en cela de Wagner, qui est plutôt un dramatique lyrique. Bach, lui, est plus voisin de Berlioz et plus voisin encore de Michel-Ange. S’il avait pu lui être donné de voir un tableau de Michel-Ange, nul doute qu’il n’y eût retrouvé quelque chose de son âme à lui.

Mais son âme de peintre resta ignorée de ses contemporains. Ses élèves et ses fils ne se sont pas avisés de ses

  1. Pour d’autres exemples de textes illustrés par des mélodies de choral, voir les cantates No. 14, 23, 25, 48, 75, 106, 127, 161.