Page:Schweitzer - J. S. Bach, le musicien-poète.djvu/361

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instincts picturaux, pas plus qu’ils ne se sont doutés, que sa véritable grandeur, c’était d’être un poète en musique. De même Forkel, Mossevius, von Winterfeld, Bitter et Spitta. Spitta, que sa connaissance approfondie des œuvres de Bach mettait pourtant à même de voir juste, éprouve comme une appréhension à pousser ses recherches dans cette direction. Quand il ne peut faire autrement, il avoue que telle et telle page contient de la musique descriptive, sans oublier jamais d’ajouter que c’est là un pur accident auquel on aurait tort d’attacher quelque importance. Ces exemples, pour lui, sont des curiosités, rien de plus. En toute occasion, il affirme que la musique de Bach est au dessus de « puérilités » de ce genre, qu’elle est de la musique pure, la seule qui soit classique. Cette appréhension l’égaré. La crainte qu’un jour on ne vînt à découvrir chez Bach de la musique descriptive, et que cette découverte ne portât atteinte à sa réputation d’auteur classique, l’empêchent de s’apercevoir du rôle qu’elle joue dans ses compositions[1].

Voyons Bach à l’œuvre. Quelque mauvais que soit le texte, pourvu qu’il contienne une image, le voilà satisfait. Vient-il à découvrir une idée picturale, elle lui tient lieu du texte tout entier ; il s’attache à elle au risque d’aller à l’encontre de l’idée dominante qu’il renferme. Préoccupé qu’il est exclusivement de l’élément pictural, il n’aperçoit point la faiblesse et les défectuosités du libretto.

Il n’est pas jusqu’à la nature, qu’il ne sente, pour ainsi dire, d’une façon picturale. La poésie de la nature dans son œuvre n’est point lyrique, comme chez Wagner : elle est plutôt vue que sentie. Ce sont des tourbillons de vent, des nuages qui s’avancent à l’horizon, des feuilles qui tombent, des vagues qui s’agitent.

  1. Voir Spitta II, p. 406 : « Wie gern Bach auch malerische Züge einstreute, er that es nicht in Folge einer auf musikalische Plastik gerichteten Grundanschauung. Jene Züge sind flüchtigen Anregungen entsprungene Witze, deren Vorhandensein oder Fehlen Werth oder Verständlichkeit des Tonstückes in seinem eigentlichen Wesen nicht ändert. »