du corps. Victor Hugo admirait l’argot qui séparait ainsi par deux mots distincts la tête morte (tronche) et la tête vivante (sorbonne). Mais, en réalité, l’argot n’a jamais fait cette distinction ; elle est l’œuvre du grand poète. On voit, dans le livre de Pechon de Ruby, les sujets du grand Coësre s’approcher de leur souverain le bonnet à la main, tronche nue. Pourquoi une métaphore de cette nature à une époque où la décapitation n’était pas la punition des malfaiteurs ? Si les gueux, contemporains de Pechon de Ruby, ont exprimé un supplice par des images de langage, c’est bien certainement la pendaison. Le suffixe anche détaché du mot tronche, il reste un radical élémentaire tr. Nous verrons par la suite, que les suffixes en argot ont fréquemment réduit les mots à deux lettres, et même à une. C’est un des résultats de l’exagération de leur importance, dans le but de dénaturer le langage. Sans doute il faut voir dans tronche le doublet artificiel de trogne[1]. Le groupe ogne a paru mobile parce qu’il appartient lui-même aux suffixes argotiques.
L’explication de tronche était, on le voit, malgré sa rigueur étymologique apparente, une interprétation par métaphore. La substitution d’anche à ogne a donné au mot une physionomie qui excuse jusqu’à un certain point le sens qu’on lui prêtait. C’est à des faits de ce genre qu’il faut rapporter la tendance à expliquer les mots d’argot par des métaphores. Les suffixes rapportés font naître des images. « Lancequiner », que nous avons cité, doit son pittoresque au suffixe quin. Nous voyons employer autour de nous cette formation artificielle : dans †rouquin pour « roux » elle n’est pas méconnaissable. « Lancequiner » même n’est que le verbe formé sur le substantif †lancequine (eau). Jusqu’à présent, en effet, quin paraît avoir été affecté plus spécialement à la défiguration des substantifs ; anche, au contraire, servirait plutôt à déformer les verbes. Le radical lance trouvé, il ne faudrait pas y voir une nouvelle métaphore. Le vocabulaire de Pechon de Ruby donne ance (eau) ; sans doute lance présente le même phénomène de phonétique syntactique que lierre (hedera). L’article s’est joint indissolublement au mot. Frusquin (habit. Jarg. de l’arg. réf.) a donné défrusquiner (déshabiller) ; il faut supposer *frusquiner grâce aux analogies suivantes. Frusquin est aujourd’hui †frusque qui donne †frusquer et défrusquer. Ce suffixe quin s’est ainsi affaibli. Si nous le séparons de frusquin, il reste frus : le suffixe us sur lequel quin s’était greffé est évidemment défiguré ; mais il était mobile, car on a les doublets artificiels †fringue, *froque, *fripe. †Fringue a
- ↑ Le groupe tr a donné avec le suff. anche le verbe †troncher, dont le sens se rapproche de la signification spéciale de truquer auquel sans doute il faut le rattacher. Truquer était dans le jargon de Pechon de Ruby trucher.