Il est facile dès lors de reconnaître dans mouchique un doublet artificiel de mouche, formé au moyen du suffixe mobile ique. Le verbe †moucher (faire mal) nous fera comprendre mouche ou moche. C’est le mot mal transformé ; le suffixe oche est une des terminaisons les plus franchement argotiques. Au point de vue sémantique, moche de la signification mal est arrivé au sens de vilain, laid. C’est une sorte de généralisation que nous trouverons fréquemment dans les mots transformés. La défiguration sert d’élargissement au sens : l’argot est une langue pauvre au point de vue des choses signifiées, extrêmement riche en synonymes. C’est ce qu’on verra dans la suite.
Quant au greffage du suffixe ique sur la finale oche, déjà suffixe elle-même, c’est un phénomène que nous avons rencontré déjà plus haut dans frusquin. L’argot est capricieux : tantôt la défiguration s’opère par substitution de suffixes, tantôt elle en entasse jusqu’à quatre. Chaper, chaparder, choper, nous ont donné un exemple du traitement capricieux que peut subir un mot. Nous avons vu se former presque sous nos yeux d’extraordinaires « cristallisations de suffixes ». Chique (chic) a donné « *chiquoque » (*chicoque), « *chicoquand », « chicoquandard » (chicocandard). Rupin a donné « *rupique », « *rupiquand », « rupiquandard », etc.
Est-ce à ces monosyllabes moche, boche, qu’il faut rapporter les formes insolites comme †rigolboche pour rigolo ? Le suffixe semble bien être oche; le b ne peut venir que d’une formation par analogie. On trouve déjà ces syllabes fermées au xviiie siècle. Cartouche demande à son geôlier s’il a trouvé bon un gigotmuche. Les formations de « loucherbème » ont pu exercer aussi une influence d’analogie. Des mots comme lemmefuche, loirepoque, suggèrent à coup sûr les syllabes fuche et poque comme moyens de défiguration. Boche a servi à d’autres formations artificielles : †Alleboche (Allemand), †fantaboche (fantassin), etc. Le mot boche, considéré en lui-même, non plus comme suffixe, présente un curieux exemple du groupement de sens différents sous une forme artificielle. Si le mot n’était pas trop didactique, nous pourrions appeler des termes de ce genre schèmes artificiels, parce que leur sens de généralité n’est qu’apparent. Ce sont des groupes de lettres qui n’acquièrent une signification précise que par le contexte de la phrase. Ainsi boche dans « †je ne suis pourtant pas une boche » doit être rattaché à bête ; dans tête de boche (Bruant, Dans la rue) l’expression tête de bois nous conduit à interpréter boche par bois.
Devrons-nous expliquer la formation même de moche, boche[1],
- ↑ De même †kique pour cou. Couper le kique, c’est couper le cou. Il est im-