M. Francisque Michel, dans ses Études philologiques sur l’argot, avoue avoir cédé, en choisissant ce sujet de travail, à un attrait mystérieux que nous subissons tous plus ou moins pour les monstruosités. Il ne semble pas qu’il y ait lieu de s’excuser en dirigeant ses travaux vers l’argot. La science du philologue ressemble beaucoup à celle du naturaliste. Les savants qui s’occupent de tératologie n’ont nul besoin de mettre en tête de leurs ouvrages une préface apologétique. Les mots sont des phénomènes et appartiennent tous, quels qu’ils soient, au domaine de la linguistique.
Mais, outre l’intérêt général de toute étude linguistique, un intérêt particulier résulte pour la langue française des travaux entrepris sur l’argot. Nous aurons occasion, dans la suite de cet article, de signaler un grand nombre de mots que la langue générale a recueillis dans ces bas-fonds. Et il ne s’agit pas ici des argots de métier, langages techniques qui exercent une influence nécessaire par les noms d’outils ou de procédés mécaniques ; l’argot que nous étudions est la langue spéciale des classes dangereuses de la société. Une nécessité impérieuse pousse ce langage à produire. Les mots de notre langue ne sont ni chassés ni traqués. Ceux de la langue verte vivent à peu près avec les représentants de la justice sociale comme les mineurs dans l’Arizona avec les Peaux Rouges Arapahoes. Or ces mineurs forment une nation jeune, vivace, qui émigre et colonise continuellement. L’argot est aussi comme une nation de mineurs qui débarquerait chez nous des cargaisons d’émigrés. Il est facile de voir que les ports d’arrivée sont tout en bas et tout en haut. Tout en bas, ce sont les ouvriers qui ramassent les mots et qui les ramènent vers le centre du langage. Les termes ainsi introduits portent souvent dans les dictionnaires la désignation populaire. Tout en haut, il y a une fécondation spéciale. Sprengel a découvert le premier que les fleurs mâles dans certaines plantes fécondaient les fleurs fe-