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melles par l’intermédiaire des insectes qui transportent le pollen des unes sur les autres. Ce sont les filles qui servent entre l’argot et la langue classique de papillons et d’abeilles. Émigrées des quartiers populaires vers les centres mondains, elles introduisent les termes d’argot dans le langage du sport. Ils y coudoient dans un cosmopolitisme tolérant les mots anglais, américains et espagnols.

On peut dire que les travaux entrepris jusqu’à présent pour étudier l’argot ont été menés sans méthode. Le procédé d’interprétation n’a guère consisté qu’à voir partout des métaphores. Victor Hugo avait admiré le mot lancequiner (pleuvoir) dans la forme pittoresque duquel il retrouvait les hallebardes des lansquenets. F. Michel l’a suivi sur ce terrain dangereux. D’après lui, dans dorancher (dorer), on a modifié la terminaison par allusion à la couleur de l’orange. Bougie est une canne « parce que ce n’est qu’au moyen d’une canne que les aveugles peuvent s’éclairer ». Mouchique, mauvais, laid, est une injure datant de 1815, souvenir des paysans russes, mujiks.

Ce procédé nous paraît avoir méconnu le véritable sens des métaphores et de l’argot. Les métaphores sont des images destinées à donner à la pensée une représentation concrète. Ce sont des formations spontanées, écloses le plus souvent chez des populations primitives, très rapprochées de l’observation de la nature. — L’argot est justement le contraire d’une formation spontanée. C’est une langue artificielle, destinée à n’être pas comprise par une certaine classe de gens. On peut donc supposer a priori que les procédés de cette langue sont artificiels.

L’étude linguistique pourra précéder l’étude historique. Cette dernière sera toujours conduite dans le sens rétrograde, et en manière de contrôle. Ici, comme dans les sciences expérimentales, la méthode doit commencer par être inductive. Nous observerons donc d’abord des faits, autour de nous, dans le langage parlé. Nous essayerons d’induire des lois de nos observations ; puis vérifierons, par la recherche de textes et de documents, les déductions particulières faites de ces lois. Nous pourrons arriver ainsi à des résultats scientifiques, sans nous borner à des interprétations fantaisistes ou à des conjonctures.

I

Une des déformations du langage qui frappent le plus vivement celui qui étudie l’argot, c’est le procédé artificiel connu sous le nom de †loucherbème (boucher)[1]. Il porte le nom de boucher parce

  1. Nous ferons précéder les mots recueillis oralement par nous d’une croix (†)