Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Béatrice


Τὴν ψυχήν, Ἀγάθωνα φιλῶν, ἐπὶ χείλεσιν ἔσχον·

ἦλθε γὰρ ἡ τλήμων ὡς διαβησομένη.

PLATON.    


Il ne me reste que peu d’instants à vivre : je le sens et je le sais. J’ai voulu une mort douce ; mes propres cris m’auraient étouffé dans l’agonie d’un autre supplice ; car je crains plus que l’ombre grandissante le son de ma voix ; l’eau parfumée où je suis plongé, nuageuse comme un bloc d’opale, se teint graduellement de veines roses par mon sang qui s’écoule : quand l’aurore liquide sera rouge, je descendrai vers la nuit. Je n’ai pas tranché l’artère de ma main droite, qui jette ces lignes sur mes tablettes d’ivoire : trois sources jaillissantes suffisent pour vider le puits de mon cœur ; il n’est pas si profond qu’il ne soit bientôt tari, et j’en ai pleuré tout le sang dans mes larmes.