Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/109

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Horreur ! infernale et démoniaque horreur ! Ce n’est pas l’âme de Béatrice qui passa en moi, c’est sa voix ! Le cri que je poussai me fit chanceler et blêmir. Car ce cri aurait dû s’échapper des lèvres de la morte, et c’est de ma gorge qu’il jaillissait. Ma voix était devenue chaude et vibrante, et elle me donnait l’impression d’un fluide tiède qui me toucherait. J’avais tué Béatrice et j’avais tué ma voix ; la voix de Béatrice habitait en moi, une voix tiède d’agonisante qui me terrifiait.

Mais aucun des assistants ne parut s’en apercevoir : ils s’empressaient autour de la morte pour accomplir leurs fonctions.

La nuit vint, silencieuse et lourde. Les flammes des cierges montaient tout droit et très haut, léchant presque les tentures pesantes. Et le dieu de la Terreur avait étendu sa main sur moi. Chacun de mes sanglots me faisait mourir de mille morts : il était exactement semblable aux sanglots de Béatrice quand, devenue inconsciente, elle se lamentait de mourir. Et, tandis que je pleurais, agenouillé près du lit, le front sur les draps, c’étaient ses pleurs à elle qui semblaient s’élever en moi, sa voix passionnée qui semblait flotter dans l’air, plaignant sa misérable mort.

N’aurais-je pas dû le savoir ? La voix est éternelle ; la parole ne périt pas. Elle est la migration perpétuelle des pensées humaines, le véhicule des âmes ; les mots gisent desséchés sur les feuilles de papier, comme les fleurs dans un herbier ; mais la voix les