Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/116

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Ainsi les anciens rois barbares entraient en terre suivis de leurs trésors et de leurs esclaves préférés. On égorgeait au-dessus de la fosse ouverte les femmes qu’ils aimaient, et leurs âmes venaient boire le sang vermeil.

Le poète qui avait aimé Lilith lui donnait la vie de sa vie et le sang de son sang ; il immolait son immortalité terrestre et mettait au cercueil l’espoir des temps futurs.

Il souleva la chevelure lumineuse de Lilith, et plaça le manuscrit sous sa tête ; derrière la pâleur de sa peau il voyait luire le maroquin rouge et les agrafes d’or qui resserraient l’œuvre de son existence.

Puis il s’enfuit, loin de la tombe, loin de tout ce qui avait été humain, emportant l’image de Lilith dans son cœur et ses vers qui sonnaient dans son cerveau. Il voyagea, cherchant les paysages nouveaux, ceux qui ne lui rappelaient pas son amie. Car il voulait en garder le souvenir par lui-même, non que la vue des objets indifférents la fît reparaître à ses yeux, non pas une Lilith humaine en vérité, telle qu’elle avait semblé être dans une forme éphémère, mais une des élues, idéalement fixée au delà du ciel, et qu’il irait rejoindre un jour.

Mais le bruit de la mer lui rappelait ses pleurs, et il entendait sa voix dans la basse profonde des forêts ; et l’hirondelle, tournant sa tête noire, semblait le gracieux mouvement du cou de sa bien-aimée, et le disque de la lune, brisé dans les eaux sombres