Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des étangs de clairière, lui renvoyait des milliers de regards dorés et fuyants.

Soudain une biche entrant au fourré lui étreignait le cœur d’un souvenir ; les brumes qui enveloppent les bosquets à la lueur bleutée des étoiles prenaient forme humaine pour s’avancer vers lui, et les gouttes d’eau de la pluie qui tombe sur les feuilles mortes semblaient le bruit léger des doigts aimés.

Il ferma ses yeux devant la nature ; et dans l’ombre où passent les images de lumière sanglante, il vit Lilith, telle qu’il l’avait aimée, terrestre, non céleste, humaine, non divine, avec un regard changeant de passion et qui était tour à tour le regard d’Hélène, de Rose-Mary et de Jenny ; et quand il voulait se l’imaginer penchée sur les barrières d’or du ciel, parmi l’harmonie des sept sphères, son visage exprimait le regret des choses de la terre, l’infélicité de ne plus aimer.

Alors il souhaita d’avoir les yeux sans paupières des êtres de l’enfer, pour échapper à de si tristes hallucinations.

Et il voulut ressaisir par quelque moyen cette image divine. Malgré son serment, il essaya de la décrire, et la plume trahit ses efforts. Ses vers pleuraient aussi sur Lilith, sur le pâle corps de Lilith que la terre enfermait dans son sein. Alors il se souvint (car deux années s’étaient écoulées) qu’il avait écrit de merveilleuses poésies où son idéal resplendissait étrangement. Il frissonna.