Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/123

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J’étais dans un immense jardin sombre, où les herbes folles et les plantes sauvages poussaient à hauteur de genoux. La terre était détrempée, comme par des pluies continuelles ; elle paraissait de glaise, tant elle s’attachait aux pas. Tâtonnant dans l’obscurité vers le bruit mat du vieux qui avançait, je vis bientôt poindre une éclaircie ; il y avait des arbres où pendaient des lanternes de papier faiblement éclairées, donnant une lumière roussâtre, diffuse ; et le silence était moins profond, car le vent semblait respirer lentement dans les branches.

En approchant, je vis que ces lanternes étaient peintes de fleurs orientales et qu’elles dessinaient en l’air les mots :

MAISON D’OPIUM.

Devant moi se dressait une maison blanche, carrée avec des ouvertures étroites et longues d’où sortait une lente musique grinçante de cordes, coupée de battements, et une mélopée de voix rêveuses. Le vieux se tenait sur le seuil, et, agitant gracieusement son foulard rouge, il m’invitait du geste à entrer.

J’aperçus dans le couloir une mince créature jaune, vêtue d’une robe flottante ; vieille aussi, avec la tête branlante et la bouche édentée — elle me fit entrer dans une pièce oblongue, tendue de soie blanche. Sur les tentures des raies noires s’élevaient verticalement, croissant jusqu’au plafond. Puis il y