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Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/124

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eut devant moi un jeu de tables de laque, rentrant les unes dans les autres, avec une lampe de cuivre rouge où une fine flamme filait, un pot de porcelaine plein d’une pâte grisâtre, des épingles, trois ou quatre pipes à tige de bambou, à fourneau d’argent. La vieille femme jaune roula une boulette, la fit fondre à la flamme autour d’une épingle, et, la plantant avec précaution dans le fourneau de la pipe, elle y tassa plusieurs rondelles. Alors, sans réflexion, j’allumai, et je tirai deux bouffées d’une fumée âcre et vénéneuse qui me rendit fou.

Car je vis passer devant mes yeux aussitôt, bien qu’il n’y eût eu aucune transition, l’image de la porte et les figures bizarres du vieux homme au foulard rouge, du mendiant à l’écuelle et de la vieille à la robe jaune. Les raies noires se mirent à grandir en sens inverse vers le plafond, et à diminuer vers le plancher, dans une sorte de gamme chromatique de dimensions qu’il me semblait entendre résonner dans mes oreilles. Je perçus le bruit de la mer et des vagues qui se brisent, chassant l’air des grottes rocheuses par des coups sourds. La chambre changea de direction sans que j’eusse l’impression d’un mouvement ; il me parut que mes pieds avaient pris la place de ma tête et que j’étais couché sur le plafond. Enfin il y eut en moi un anéantissement complet de mon activité ; je désirai rester ainsi éternellement et continuer à éprouver.

C’est alors qu’un panneau glissa dans la chambre,