Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

conquêtes. Tandis qu’avec nos logements et nos tailleurs nous ne réussissons certainement pas si bien. » Et Tom Bobbins regarda un de ses tibias d’un air découragé.

Alors je me pris à pleurer sur le sort de ces pauvres vieux squelettes. Et je me figurai toutes leurs souffrances quand ils moisissaient dans des boîtes clouées et que leurs jambes languissaient après une scottish ou un cotillon. Et je fis cadeau à Bobbins d’une paire de vieux gants fourrés et d’un gilet à fleurs qui m’était justement trop étroit.

Il me remercia froidement, et je remarquai qu’il devenait vicieux à mesure qu’il se réchauffait. En un moment je reconnus tout à fait Tom Bobbins. Et nous éclatâmes du plus joli rire de squelettes qu’il fût possible. Les os de Bobbins tintaient comme des grelots d’une manière extrêmement réjouissante. Dans cette hilarité excessive je remarquai qu’il redevenait humain, et je commençai à avoir peur. Tom Bobbins n’avait pas son pareil pour vous coller une liasse d’actions pour une exploitation des Mines de Guano Colorié de Rostocostolados quand il était en vie. Et une demi-douzaine de semblables actions n’éprouvaient aucune difficulté à manger votre revenu. Il avait aussi une manière de vous engager dans une honnête partie de piquet et de vous plumer au rubicon. Il vous soulageait de vos louis au poker avec une grâce facile et élégante. Si vous n’étiez pas content, il vous tirait volontiers le nez et procédait