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Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/148

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Puis il s’enfuit avec la vélocité d’une araignée.

Je regardai ma montre ; il était deux heures moins un quart. Une inquiétude immense m’envahit. Je me souvins que l’éléphant du Jardin des Plantes avait perdu ses défenses grâce à une maladie analogue, et le rapport de dimension entre des défenses d’éléphant et une mâchoire humaine redoubla ma terreur. Je tâtai mes dents du bout de mes doigts, et il me parut qu’elles tremblaient dans les gencives. Alors, sans hésitation, je courus à mon malheur, 12, rue Taitbout.

Je lus sur une plaque de tôle peinte à la porte : M. Stéphane Winnicox, chirurgien-dentiste diplômé par l’École Dentaire.

Je me précipitai dans l’escalier et je sonnai avec frénésie. Stéphane Winnicox m’introduisit dans un cabinet éclairé par un jour blafard. Il m’inséra dans un fauteuil à crémaillère devant lequel il fit mouvoir rapidement un crachoir articulé. Puis il approcha une tablette couverte d’instruments d’acier qui étincelaient. Une odeur de caoutchouc, d’eau dentifrice et de phénol me prit à la gorge ; j’ouvris la bouche pour crier grâce, mais Winnicox avait été plus rapide que moi. J’avais un de ses doigts jaunes et noueux sous la langue et l’autre au fond du palais. Je constatai que l’éminent chirurgien-dentiste diplômé par l’École Dentaire avait mangé du saucisson à l’ail et qu’il possédait la déplorable habitude de tremper l’index de sa main gauche dans du jus de tabac. Je