Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/149

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toussai pour attirer son attention ; il n’eut pas l’air de s’en apercevoir et dit :

« Vous avez les dents très sales. Vous avez besoin d’un nettoyage à fond. C’est de là que viennent vos caries. Je vous donnerai une douzaine de brosses à dents semi-circulaires système Winnicox et une poudre dentifrice au quinquina Reine de Saba. Vous ferez bien aussi de vous rincer la bouche avec de l’eau du docteur Pills. Mais il n’y a que la superfine de bonne. Je vous en donnerai un flacon de 32 fr. 75. »

Remarquant l’agonie de mes muscles faciaux sous cette extraction de pièces, il continua : « Vous souffrez, je le sais. Je vais vous examiner. » Maintenant ma bouche ouverte avec un de ses doigts hideux, il prit de l’autre main une sorte de miroir monté sur manche avec lequel il me fourragea les dents environ une demi-heure.

Puis il me dit : « Vous avez une carie très profonde. Il était temps ; mais je vais pouvoir l’arranger. Ouvrez bien la bouche, monsieur. Bon. » — Il prit un crochet, et froidement, délibérément, se mit à creuser un trou dans ma dent. Ensuite il saisit un outil qui tournait avec la rapidité d’un volant de locomobile, et évida son trou. « C’est une nouvelle invention qui vient d’Amérique, monsieur. Très commode. Nous opérons une quantité de personnes comme cela. On creuse une dent en un rien de temps. »

Quand mes pauvres dents furent creuses comme des tambours crevés, cet être blafard ouvrit un cahier