Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/175

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Le Maharajah était extraordinairement pieux. Il avait un respect considérable pour les Voyants sacrés. Il ne faisait pas rouler son char dans les forêts des ermites et ne tuait pas, à la chasse, leurs antilopes favorites. Il protégeait les fakirs parmi son peuple, et lorsqu’il les rencontrait sur la route, enveloppés de boue et d’ordure, couverts de l’herbe qui poussait sur leur peau depuis douze années, il les lavait dévotement afin qu’à leur réveil ils eussent le corps blanc et purifié, et qu’ils allassent répandre en des contrées diverses les bénédictions du ciel.

Il possédait des richesses si vastes qu’il en ignorait le nombre. Les tables de ses serviteurs étaient d’or massif. Les lits de ses servantes étaient taillés dans du diamant. La Rani, sa femme, avait des étoiles sur le visage et des lunes sur les mains. Son fils était l’accomplissement des grâces célestes. Les rois les plus lointains venaient en procession vers lui, chargés des produits les plus précieux de leur pays. Il n’y avait en sa terre ni tigres, ni démons, ni même de Rakchasas qui prennent la figure humaine et, la nuit, vont ouvrir les poitrines pour ronger les cœurs.

Mais lorsque le fou Sachuli lui eut ainsi parlé, le Rajah tomba dans une méditation noire. Il pensa aux laboureurs, aux ouvriers, aux hommes des basses castes. Il réfléchit au don de la vie, si inégalement distribué par les dieux. Il songea que peut-être la véritable piété n’était pas de faire le bien, étant grand, mais de pouvoir le faire, étant petit. Il se demanda