Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/176

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si cette piété jaillissait comme une immense fleur du cœur d’or des riches, ou si elle s’entrouvrait délicatement comme une humble fleurette des champs sur le cœur de terre des pauvres.

Alors il assembla ses princes et fit une solennelle déclaration. Il renonça à la royauté et à tous ses privilèges. Il leur distribua ses terres et ses fiefs, ouvrit les caves de ses trésors et les éparpilla, éventra les sacs de monnaie d’or et d’argent et les fit couler pour le peuple sur les places publiques, jeta au vent les manuscrits somptueux de ses bibliothèques. Il fit venir la Rani et la répudia devant son conseil ; elle devait s’en aller avec son fils et retourner au pays d’où elle était venue. Puis, quand les princes, sa femme, son enfant, ses serviteurs furent partis, il rasa sa tête, se dépouilla de ses vêtements, enveloppa son corps d’une pièce de grosse toile, et mit le feu à son palais avec une torche. L’incendie s’éleva tout rouge, au-dessus des arbres de la résidence royale ; on entendait craquer les meubles incrustés et les chambres d’ivoire ; les tentures de métal tissé pendaient, noires et consumées.

Ainsi le Rajah partit à la lueur de ses trésors qui brûlaient. Il marcha d’un soleil à l’autre, d’une lune à la nouvelle, tant que ses sandales lui tombèrent des pieds. Alors il passa nu-pieds sur les ronces, et sa peau saigna. Les animaux parasites qui vivent par la grâce divine sur l’écorce des arbres et la surface des feuilles entrèrent dans la plante de ses pieds et