Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/199

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aïeux, où l’on ne parlait pas du cruel Mavors, qui ne se réjouit qu’au son des épées brisées et au fracas des boucliers heurtés, mais seulement de la bienfaisante Terre qui reçoit les semences, et du Soleil qui les féconde par ses baisers. Ils chantaient aussi les génies des champs, qui veillent sur les blés, et les fées amies qui règnent sur les sources et ne les laissent pas tarir, qui entourent les puits rustiques de couronnes de violettes et guident les ruisseaux qui serpentent au flanc des collines. Et principalement ils n’oubliaient pas dans leurs chants la déesse du Nar, qui fécondait le pays de ses bienfaisantes vapeurs, et leur permettait d’aller prendre dans son sein la truite alerte et perfide, couverte de taches rouges, et les écrevisses à la carapace bleuâtre, qui pincent sournoisement, entre les pierres, les doigts des petits enfants. Ils célébraient enfin les danses des Heures qui amènent la moisson, et qui tournent en ronde continuelle, se tenant la main, s’enlaçant et se désenlaçant toujours, pour mener leur farandole depuis l’Hiver, à travers le Printemps, jusqu’à la fin de l’Eté, jusqu’à l’Automne qui distribue les fruits : il jette à profusion du pli de son manteau couleur feuille-morte les pommes rougies, les nèfles brunes, les olives noires et les figues mûres qui frappent la terre et s’ouvrent avec un petit claquement.