Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

coule au fond d’un ravin. Elle se nomme la Vanve et s’élargit environ une lieue au-dessus de la ville. La minuit était déjà venue, et nous cheminions sur la rive de la Vanve, qui est moitié de sable et de boue. De chaque côté sont des fourrés de brousses noires, qui allaient au loin avec des bouquets de genêts jusqu’aux premières collines. La lune donnait une clarté pâle, et nos ombres longues touchaient les brousses comme nous passions. Alors on entendit soudain trembler l’air sous une voix aiguë qui chantait : « Mérigot ! Mérigot ! Mérigot ! » dont on eût facilement dit un oiseau étrange du pays d’Auvergne huant et se plaignant parmi la nuit. Car cette voix était plaintive et comme coupée de sanglots, ressemblant trop aux cris de douleur des femmes qui pleuraient ceux qui étaient morts durant les grandes guerres des Anglais.

Mais Robin le Galois s’arrête quand il ouït le cri de « Mérigot ! » et je vis ses jambes trembler. Pour moi, je n’osais plus avancer ; car je pensais bien que c’était Mérigot Marchés ; et il me semblait voir monter parmi les brouées de la Vanve sa tête couleur de plomb d’où les peaux du cou pendaient.

Le Verdois, le Compagnon Silencieux et le Manchot cependant continuèrent à marcher et entrèrent dans la rivière ; ils y plongeaient jusqu’aux genoux, parmi quelques roseaux. Robin le Galois, ayant pris du cœur, courut à l’eau : il y avait là un chenal singulier, aisé à reconnaître. Ils enfoncèrent leurs bâtons